Septembre 2022 : interview écrite 5sens éditions – Le Malaise et l’échappée
Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage ?
Le Malaise et l’échappée est un livre de poèmes qui retrace le parcours d’une vie en train de se faire, malgré les résistances – parfois massives – que lui opposent à la fois le cours des événements extérieurs et celui, plus sourd mais non moins agité, de l’intérieur.
Fruit de plusieurs années d’efforts, ce livre porte donc la trace d’une violence latente avec laquelle il me faut vivre. Elle n’a rien d’extraordinaire, elle est presque sans nom, et d’autres assurément en partagent le poids.
J’ai voulu retracer le parcours de cette édification. De cette prise de l’esprit et du corps avec le malaise, et de l’engourdissement du cœur qui en suivit. Mais j’ai aussi voulu dire les moments d’affrontement, les éclats, les fêtes et les sursauts qui me firent espérer à nouveau en l’impermanence de cet état. Il y a des joies et des colères inentamées.
Je me suis démené avec le problème toujours posé de la violence, et j’ai tenté d’en distinguer la part mortifère – son héritage, de la part la plus vitale.
S’il m’était permis de nommer autrement ce livre avec les mots d’un autre, j’aurais peut-être choisi Songs of Love and Hate, en mémoire de Leonard Cohen, qui m’apprit que le cœur devait se briser s’il voulait ne pas s’éteindre.
Pourquoi écrivez-vous (et spécialement de la poésie) ?
J’écris d’abord vitalement : pour réinstaurer en mon corps sa respiration et son mouvement propres, pour retrouver son écoulement incontrarié.
Pour retrouver mon chant.
Je m’efforce quotidiennement de sortir d’une sidération – j’ose dire d’une violence, somme toute ordinaire. Celles d’une vie qui n’a pas souvent les mots pour se dire quand tout autour se tait et qu’on l’invite à parler.
Pour nommer la vie.
J’écris donc en étant attentif au temps, cherchant l’inespéré, l’amour d’une rencontre, l’épreuve d’une liberté jamais vraiment saisissable. La recherche n’est pas isolée, encore moins solitaire. Elle est partagée, et j’espère commune. Elle trouve raison dans une ouverture sans retour possible ni souhaitable.
Quelle est la marque de votre écriture ?
Si la beauté est bien dicible, elle a à voir avec une forme – rétive, certes – d’évidence. Je souhaite parvenir à quelque chose comme une exactitude poétique, pour y suivre sa voie, voire m’y identifier.
Je privilégie une écriture de la parole vive, de l’adresse et de la confidence à l’autre, peu importe son nom, ses traits apparents, son visage. Poésie intime de l’évènement et de la rencontre, pour sortir de soi. Paroles souvent laissées à elles-mêmes, en suspens, attendant une réponse offerte à l’imagination.
Aucune forme stylistique n’est vraiment négligée même si c’est en vers qu’on dit libres que j’écris de façon privilégiée.
Mes tercets et poèmes courts sont pour une bonne part redevables, dans leur esprit et quelquefois dans leur lettre, à la tradition poétique japonaise du haïku et du senryû pour lesquels j’éprouve un vif intérêt. Cela doit être mentionné tant cela infuse dans ma pratique quotidienne de l’écriture.
Je revendique enfin une approche sérielle dans mon travail, remettant sur le métier quantité de thèmes et d’objets chéris. Autant de variations, d’effleurements nourris et constants.
Quelles sont vos inspirations pour votre travail ?
Ce livre court sur plusieurs années, et sa maturation fut longue et malaisée. Certains poèmes sont en ce sens plus tributaires de celles et ceux qui me précédèrent. Cette dette je la reconnais et la célèbre.
La poésie de René Char, d’Andrée Chedid, de Louise Glück et de Philippe Jaccottet et bien d’autres infusent dans mes vers.
Mais je veux attirer l’attention sur une caractéristique propre à ma recherche qui est l’intérêt porté à la peinture, et dans une moindre mesure la musique. Bien souvent j’ouvre et consulte les livres d’artistes plus que les dictionnaires et les textes littéraires pour honorer ce souci d’exactitude poétique dont je parlais.
Les œuvres de Geneviève Asse, Francis Bacon, le Caravage, Pierre Soulages, Vincent Van Gogh, Claude Monet (pour ne citer que les sources les plus manifestes) répondent souvent plus adéquatement aux problèmes qui me sont posés.
Il me faut également parler des discussions et de la correspondance animées que nous menons depuis plusieurs années Pierre Ausserre et moi sur les terrasses des cafés ou à distance. Son travail de peintre et nos échanges me sont précieux. Je le quitte souvent la tête pleine et fourmillante d’idées, de suites de mots, de projets, etc.
Pierre Ausserre a réalisé le beau dessin, intitulé « cueillir une rose », qui illustre en première de couverture mon livre. Je tiens à nouveau ici à l’en remercier.Quels sont vos projets réalisés cette année et vos projets futurs ?
Durant l’année écoulée j’ai participé à plusieurs revues papier et en ligne, dont Traction-Brabant et Lichen.
Début septembre 2022 j’ai participé au recueil collectif de poèmes et de créations sonores, Je te donnerai un paysage duquel tu ne pourras te jeter, aux éditions du drame (une jeune maison d’édition québécoise). C’est un beau livre, sensible et cru. Je suis fier et heureux d’avoir pu participer à cette aventure collective.
Concernant mes futurs projets j’ai terminé la rédaction de deux livres de poèmes, Circonstances des saisons, qui comporte des tercets inspirés aussi bien de la tradition poétique japonaise et de la spiritualité zen que des approches plus libres et foutraques d’auteurs américains comme Jack Kerouac et ses fameux poèmes pop ; puis Paroles mendiantes, recueil de poésie poursuivant par des voies et des moyens nouveaux le problème qui fut le mien dans Le Malaise et l’échappée.
Retrouvez l’ouvrage directement dans notre catalogue !
*
Recension par P. Maltaverne sur son site Poésie Chronique ta malle